Le Conseil d’Etat a rejeté le 12 avril 2024 (Décision téléchargeable plus bas), en invoquant le fameux défaut d’urgence qui permet, en toute légalité, d'éviter de discuter des illégalités internes et externes d’un texte réglementaire, la requête de Plastalliance aux fins de voir suspendre le décret du 20 juin 2023. Ce décret est relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique. Les producteurs agricoles impactés apprécieront. Plastalliance prend acte de ce jugement mais la lutte contre ce décret inique est loin d’être finie pour Plastalliance et ses membres. Ce décret tombera d’une manière ou d’une autre, l'Ordonnance en référé ne préjugeant pas de la suite....
Selon la jurisprudence du Conseil d’état lui-même, l’urgence à suspendre l’exécution d’une décision administrative existe lorsque celle-ci « préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre » (CE, sect., 19 janvier 2001, Confédération nationale des radios libres, no 228815 ; CE, 3 février 2023, no 470891 ; CE, 22 juillet 2021, no 454622 ; CE, 30 juin 2021, no 453910).
Une telle urgence peut résulter des répercussions purement financières de la décision (CE, sect., 19 janvier 2001, Confédération nationale des radios libres, préc.).
Ce décret du 20 juin 2023 (dont le prédécesseur avait été annulé au fond par le Conseil d'état suite au recours lancé initialement par Plastalliance, voir ICI) empêche les producteurs de certains fruits et légumes d’utiliser des conditionnements en tout ou partie de plastique pour leur production. Ainsi en est-il des pêches et des abricots ou, pour les légumes, des haricots.
En France, en fonction des aléas climatiques, la saison des abricots commence dans les premiers jours de mai ; celles des pêches à peine quelques semaines plus tard ; tandis que la pleine saison des haricots court de juillet à octobre.
Il va de soi que la commande et la fabrication des emballages sont effectuées en amont de la récolte : dès maintenant, de toute urgence, des solutions doivent être choisies par les producteurs. Or, aucune solution convenable n’existe actuellement sur le marché. Les plus hautes autorités de l’État le savent d’ailleurs parfaitement et il leur a, encore récemment, été demandé par l’interprofession fruits et légumes (INTERFEL) de revenir sur ce décret funeste (voir lien ICI).
Pour INTERFEL, « Il n’est pas concevable d’entraîner les opérateurs français vers des investissements très coûteux et de les exposer à des distorsions de concurrence aux règles définies par les instances européennes en contradiction avec le plan de souveraineté fruits et légumes pourtant coconstruit avec ce gouvernement. »
Contrairement à ce qui est indiqué en page 1 de l’Ordonnance, Plastalliance n’a jamais parlé, ni écrit sur un impact à « hauteur de 2 % » pour les entreprises représentées (3 de la filière pêches-abricots et un des haricots, le plus gros producteur d’ailleurs).
Pour les 3 entreprises concernées de la filière pêches-abricots, on est entre 4 et 30 % d’impact en termes d’augmentation du coût !
La filière des pêches-nectarines et abricots regroupe 600 producteurs produisant plus de 300.000 tonnes de fruits. Le chiffre d’affaires global de la filière est supérieur à 500 millions d’euros.
Au sein de l’AOP Pêches et Abricots de France, 20 % des fruits sont emballés. Ces emballages étaient en matière plastique dans leur très grande majorité, jusqu’à présent…
Cela représente un peu moins de 40 millions de barquettes ou de sachets de pêches ou d’abricots chaque année (appelés de manière générique « UVC » pour unité de vente consommateur).
Or, l’AOP Pêches et Abricots de France a comparé les coûts des différentes options d’emballage et il en ressort que le remplacement du plastique a un impact de 20 à 30 centimes d’euros supplémentaires par barquette.
À l’échelle de l’AOP et de ses 40 millions d’UVC, la dépense totale supplémentaire atteint 10 à 12 millions d’euros ! Cela représente 2% du chiffre d’affaires de l’ensemble de la filière, certes, mais ce n’est pas l’impact pour nos entreprises adhérentes (entre 4 et 30% comme rappelé plus haut).
Or, c’est le préjudice de ces entreprises très précisément qui aurait dû être pris en compte.
Pour l’entreprise adhérente dans le secteur des haricots (et qui était présente à l'audience et qui a pris la parole pendant près de 10mn), la moitié de la production était emballée en sachet plastique (de 200 g, 500 g et 750 g).
L’emballage est le fruit d’un savant compromis mêlant des contraintes commerciales et techniques : il doit être transparent pour permettre au consommateur de voir les légumes qu’il achète et il doit assurer leur excellente conservation.
Aucune alternative crédible n’existe à l’heure actuelle. Celles qui sont proposées par les fournisseurs sont par ailleurs bien plus chères : 12,5 centimes d’euros par unité (c’est-à-dire par sachet). Cette hausse devra être prise en charge par le producteur, le distributeur et le consommateur. Chacun imagine sans difficulté qui de ces trois acteurs paiera… et qui ne paiera pas !
En outre, comme dans les autres filières, l’ensachage a un coût : le coût des machines et de la main d’œuvre qui procède au conditionnement. Or, le passage du plastique au papier nécessite des investissements extrêmement importants que l’entreprise concernée évalue à près de 250 000 €
Cette augmentation a un impact sur la compétitivité de ces entreprises françaises : Il nous a été rapporté que certaines enseignes de la grande distribution préfèreraient des produits importés, moins chers que les produits français, pour compenser l’augmentation du coût de l’emballage.
Le ministre de la transition écologique (soutenu d’ailleurs par le ministre de l’économie, l’union dans l'administration d'Etat fait ici la faiblesse de la France) a affirmé lors de l’audience que « pour ce qui concerne les pêches et les abricots, la nécessité de trouver des emballages alternatifs aux emballages plastique n’est nullement démontrée » dès lors qu’existerait la possibilité de la vente en vrac.
Le ministère n'a d'ailleurs rien dit ou écrit concernant les haricots dont le plus gros producteurs était présent à l'audience.
Le Conseil d’état, reprenant l’argumentation du gouvernement, a jugé qu’il existe une alternative à faible coût et ne posant pas de difficulté de mise en œuvre pour la commercialisation des pêches, abricots et haricots, à savoir la vente en vrac !
Le plus ironique est le fait que le ministère s’est appuyé sur l’étude du Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes (CTIFL) en date du 9 juin 2022 qui indique, certes, que le vrac est toujours majoritaire.
De manière plus ou moins opportune, le ministre ou le Conseil d’état ne cite pourtant pas un élément déterminant de cette étude : la vente de fruits et légumes emballés reste constante alors que la vente en vrac diminue inexorablement.
« En 2003, la présentation des fruits et légumes en vrac représentait globalement 77% des volumes de fruits vendus contre 23% seulement en présentation emballée, par exemple. La représentation du vrac dans la part des volumes achetés par les ménages ne cesse de diminuer, pour atteindre en 2018, 65% du volume total de fruits achetés par les ménages.
En proportion, les chiffres sont en faveur d’une évolution croissante de la part des F&L emballés dans les achats.
Cependant, en examinant de plus près les chiffres, il est constaté que le volume des quantités achetées de fruits emballés stagne depuis 2007. C’est la diminution globale des quantités de fruits achetés depuis 2003 – et plus particulièrement celle de l’offre vrac – qui concoure au fait que la part de l’emballé augmente en proportion. ». Et encore, il n'a été pris en compte les effets covid où les rayons vrac avaient été fermés pendant un certain temps....
Le graphique illustrant cette évolution apporte un démenti cinglant à l’affirmation du ministre :
Et encore, il n'a été pris en compte les effets covid où les rayons vrac avaient été fermés pendant un certain temps....
L’étude du CTIFL indique également les raisons pour lesquelles les fruits et légumes emballés sont choisis au détriment de ceux en vrac :
« Plusieurs hypothèses à cette diminution de l’offre en vrac : les modes de consommation qui évoluent, une offre en Unité de Vente Consommateur pratique (quantité emballée adaptée), une offre emballée mieux segmentée et expliquée au consommateur, achats de F&L bio croissants (offre majoritairement emballée en magasins conventionnels) … »
Par ailleurs l’avis no 86-07-2020 du Conseil national de l’alimentation des 8 juillet et 30 septembre 2020, cité pourtant par le ministre, indique clairement l’absence d’alternative aux emballages plastiques concernant les pêches et abricots :
Dans la colonne « « Hors vrac, identification d’alternative au plastique ? » : Aucune solution identifiée à ce stade ».
Dans la colonne « Facteurs extérieurs de risque de détérioration » : « .Chocs et manipulations .Environnement sec ».
Dans la colonne « Types de détérioration » : « Meurtrissures .Déshydratation, flétrissement ».
En ce qui concerne les haricots verts – au sujet desquels le ministre ne dit rien – il est indiqué :
Dans la colonne « « Hors vrac, identification d’alternative au plastique ? » : Non identifiées à ce stade ».
Dans la colonne « Facteurs extérieurs de risque de détérioration » : « Environnement sec .Manipulations .Composition gazeuse de l'air (O2,CO2,N2) ».
Dans la colonne « Types de détérioration » : « Déshydratation, flétrissement, Brunissement. Cassure .Pourrissement ».
A l’audience, Plastalliance et son adhérente productrice d’haricots (dont 50% de la production est emballée) ont rappelé que la question n’était pas de choisir entre emballage plastique et vrac mais entre un emballage plastique et autre chose de plus coûteux. Il y a une demande non négligeable de fruits et légumes emballés et c’est un fait, n'en déplaise aux idéologues.
Alors que nous avions indiqué que s’il est exact que le volume de plastique utilisé par la filière fruits et légumes frais pour l’emballage en unités consommateurs représente environ 1 % de la totalité du plastique d’emballage et 1,4 % de celui utilisé par la filière agro-alimentaire en France, l’impact pour deux entreprises de la plasturgie spécialisées dans ce secteur des emballages plastiques pour les fruits et légumes est bien plus important.
Le Conseil d’état a estimé qu’il n’y avait pas de dommage vu que la production de plastiques d’emballages pour le secteur agricole constitue une part minime du chiffre d’affaires du secteur économique de la plasturgie que représente Plastalliance.
Idem, pour les 4 entreprises productrices de fruits et légumes avec une comparaison pour le moins curieuse entre leurs chiffres d’affaires et le total du CA des entreprises représentées à Plastalliance.
C’est presque reprocher à Plastalliance de représenter trop de monde ou trop de CA et/ou à ces entreprises de ne pas être assez grandes. Hors, des membres de Plastalliance sont impactés directement et on n’a pas à relativiser leur dommage au regard de l’ensemble des entreprises d’une filière !
Même si le jugement n'en fait pas mention, le Conseil d'état avait tout de même questionné le ministère sur l'existence ou non d'une étude d'impact concernant cette mesure. La réponse est non.....
En renonçant à examiner les violations éhontées du droit européen par le décret, le Conseil d’état laisse subsister pour encore quelques semaines un décret voué en off selon tous les experts à disparaître, tant la violation est énorme (par exemple, adoption en force du décret alors qu’il était bloqué par la Commission européenne).
Dans tous les cas, une audience au fond devant le Conseil d’Etat devrait se tenir, nous l’espérons, prochainement (la clôture pour le fond a été prononcée depuis le 31 janvier déjà !). Il doit être rappelé que la clôture de l'affaire au fond avait été initialement fixée au 13 novembre 2023. Le ministère de la transition écologique a attendu le 07 novembre 2023 pour déposer son premier mémoire. La clôture a été repoussée au 17 novembre 2023 et le ministère a redéposé un nouveau mémoire le 20 novembre 2023 entraînant la réouverture de l'instruction. Le ministère n'est effectivement pas très pressé de voir le juge se pencher sur le fond de son décret et sur les vices substantiels affectant celui-ci et ces méthodes que certains pourraient qualifier de dilatoires ne font qu'aggraver la situation économique des entreprises concernées.
Parallèlement, Plastalliance va déposer imminemment une plainte formelle devant la Commission européenne pour violation par la France du droit de l’Union européenne. Il est temps de faire cesser les agissements illicites d’Etat qui violent et perturbent le fonctionnement de l’ordre européen et créent de la concurrence déloyale au sein de l’Union au détriment notamment des entreprises françaises de la plasturgie et du secteur agricole. Les adhérents de Plastalliance se réserveront également par la suite le droit d'engager avec Plastalliance une action devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de faire réparer par l'Etat le dommage causé par la mise en œuvre du décret quand celui-ci sera annulé.
Pour nous contacter: communication@plastalliance.org
Alliance Plasturgie & Composites du Futur
Plastalliance
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